Sortie de l'Asie Centrale Poétique : Mars 2012
Avec la collaboration de Sabine Bord et Marc Lasserre.
En vente chez Decitre.
Plus d'information sur BOD.
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Sortie de l'Asie Centrale Poétique : Mars 2012
Avec la collaboration de Sabine Bord et Marc Lasserre.
En vente chez Decitre.
Plus d'information sur BOD.
Au cœur de l'Asie Centrale, j’ai goûté aux vestiges d’une utopie bâtie sur les ruines de vieux empires.
Pendant presque deux mille ans, les Perses, les Mongols, les Turcs et les Arabes ont jeté leurs dynasties sur l'Asie Centrale. Gengis Khan l'a soumise, Marco Polo l'a apprivoisée. La route de la soie et ses caravansérails l'ont façonnée pendant des siècles. Tamerlan l'a faite rayonner autour de Samarkand, sa capitale flamboyante. Des poètes, des religieux et des scientifiques ont puisé leur inspiration dans les palais, les madrasas ou les villes de cette Asie Centrale.
A la fin du XIXème siècle le territoire est divisé en plusieurs Khanats que se disputent les puissances alentour : la Russie, la Grande-Bretagne. C'est finalement l'URSS qui aura le dernier mot.
Pendant près de 70 ans, le communisme soviétique a apporté une modernité improbable et éphémère sur des plateaux sauvages et imprenables. La planification économique et les échanges avec l’Union ont fait pousser des métros à Tachkent, des industries à Bichkek, des administrations, des écoles et des hôpitaux. Contre un long silence et une cadence martelée par les bottes de Moscou, toutes les utopies tentent d’exister et finissent un jour par se désintégrer.
Le XXème siècle a recomposé la vieille région du Turkestan avec de nouveaux Etats, parmi lesquels le Kirghizstan et l’Ouzbékistan.
Pour voyager à travers cette Asie Centrale millénaire, tous les moyens de locomotion peuvent servir. Cette fois-ci, j’ai voyagé en poèmes.
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Bishkek : aux automates rouillés des douanes anachroniques
Passeport
Le tampon tombe sur la feuille
en fin de file de silence.
Le bureau des agents potaches
se tapisse de papiers souillés.
Le cirque du serpent de foule
souffre en secondes assommées,
inspire le temps strident,
et expire ses pas, si las.
La fièvre de lenteur se meurt
au « clac » du tampon délivrance.
Un corps de camisole se désole
et prend son envol des horloges frivoles.
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Song Köl : à la vanité des volontés soviétiques
Le clochard en costard
Le pays était prêt pour le bal.
Il était habillé des vertus
du monde planifié,
administré. Éduqué.
Le pays était costumé
pour un bal qu’on n’a jamais donné.
Le pays était costumé
pour un bal qui s’est fait nuit blanche.
Une nuit froide et sans abri,
une nuit boueuse et sombre.
Lorsque le costume est mort,
se réveille la nudité du sort.
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Song Köl : A ce petit garçon sur son âne
10 ans,
J’ai souvent 10 ans
et je n’aurai plus jamais
10 ans comme avant.
Hier j’avais 10 ans,
mes cailloux étaient une citadelle,
je les respire encore les yeux fermés.
Demain j’aurai encore 10 ans,
je n’aurai plus les cailloux d’antan
mais je ne les oublierai jamais.
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Bishkek : à la révolution kirghize, dite des "Tulipes"
Coule la foule
Le numéro un s’est confié aux courtisans,
le numéro deux a marché sur la foule.
le traître l’emporte et le paranoïaque tombe.
On grimpe dans le capital révolutionnaire
contre des promesses en ferraille.
L’entreprise de la révolution
fait l’affaire des négociants.
Les tracts et la télé s’accouplent
sur une propagande majestueuse.
Les illettrés courent arracher les drapeaux
et hurler aux pieds du palais des Tulipes.
Quand la multitude court dans la nature,
d’autres commerçants font la même confiture.
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Moinaq : au massacre d’une mer
Mer d’Aral,
J’ai marché sur les fonds marins
sous un soleil lourd de chagrin
dans des miettes de coquillages
aux parfums des anciens sillages.
J’ai vu sur le port des bateaux mourir de sable
en pleurant à jamais une mère ineffable
j’ai vu le sel et la soif de la mer d’Aral,
dans la poussière aride d’une grande barrière de rocaille.
J’ai vu un vieux fleuve étranglé
derrière l’estuaire délavé
j’ai su au désert amarré
qu’il n’y aurait plus qu’une marée.
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Amou Daria : au petit garçon avec sa canne à pêche
La pêche
Le soleil s’est jeté dans la rivière
là où les eaux s’allongent.
Un enfant s’assied sur des nuages d’ombres
et transperce le temps d’un fil de soie
jeté dans les flots sereins et opaques.
Au-dessus des gouttelettes mélodieuses,
les astres ne bougent plus.
Des ondes fabriquent les secondes d’eau
d’une horloge suspendue
aux profondeurs des courants intérieurs.
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Samarkand : aux compères voyageurs
Une soirée parmi eux
A l'auberge, les Marco Polo
ont quelques montagnes sur le dos
et des vallées sous leurs paupières.
Même leurs sacoches transfrontalières
ne se rappellent plus les tempêtes.
Seule brille une rosée matinale
sur leurs lèvres philosophales
où tournent encore plusieurs planètes
dans leurs petits pas sous les cieux
et toute la Terre au fond des yeux.
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Samarkand : à la pensée du retour
L’heure d’été
Voyage arrête-toi
et laisse goûter ce thé sur mes lèvres.
Ne me quitte pas
et remplis mes yeux de tes histoires.
Ne m’abandonne pas,
reste encore un peu,
le temps que j’oublie
que j’ai été cet homme.
Le temps que j’oublie
les murs de ma vie,
l’usure de mes couloirs
et l’heure de mon sommeil.